Découverte de la ville

Ambre et Alexie réussirent à ruser pour sortir du pensionnat. Comme elles n'étaient pas sûres de leur autorisation à sortir du bâtiment, elle se faufilèrent entre les pions, rasèrent les murs, jusqu'à retrouver l'immense portail par lequel elles étaient entrées. Elles ignoraient comment ouvrir la porte, alors elle longèrent le mur d'enceinte jusqu'à trouver, dans son prolongement, un grillage. Qu'elles escaladèrent évidemment. Rentrer serait peut-être un peu plus compliqué, mais pour l'instant elles n'en étaient pas là. Elle se retrouvèrent non loin du centre ville, et prirent un métro (sans ticket) jusqu'à une station dûement nommé "Centre Commercial". Eh oui, bien qu'elles n'étaient pas vraiment fan de shopping, cette occupation qui fait ressortir au grand jour les complexes de n'importe quelle représentante de la gente féminine, un centre commercial révèle bien souvent l'aspect de sa ville et des habitants. Ces derniers avaient l'air très distingués (ou bien était-ce un genre qu'ils essayaient simplement de se donner ?) et étranges. Ils croisèrent des phénomènes et en pouffèrent de rire, mais bon il y a des fous partout ! Notamment un homme qui hurlait dans son téléphone mobile en pointant du doigt devant lui, comme un possédé, et à toute vitesse il débitait : "Jtevoisjtevoisjtevois !" Ce fut l'occasion d'un bon vieux fou rire.

Elle arrivèrent enfin au centre commercial lui-même, la station de métro débouchant directement au milieu du rez-de-chaussée. Elles furent très impressionnées. Il n'était pas aussi bondé de monde que les derniers qu'elles avaient pu voir, et la majorité de ses occupants étaient dans leur tranche d'âge. Personne ne se bousculait, ne jurait ou ne hurlait : les gens avaient l'air polis. Le bâtiment même était très futuriste, tout fait de verre. Le toit était pointu et Ambre en déduit qu'elle était en fait dans une gigantesque pyramide en... cristal ? Non, impossible ! Et pourtant, le moindre rayon de soleil qui touchait le dôme se déclinait, à l'intérieur, en une miriade de couleurs étincellantes, provoquant des feux d'artifices de beauté colorée. De plus, le beau temps était au rendez-vous, et on avait l'impression d'être comme à ciel ouvert, en beaucoup plus beau. Eblouie, elle baissa les yeux, et y trouva tout autant de beauté. Des fontaines de toutes tailles et couleurs clairsemaient le sol, faites de pierres et de plantes, l'eau qui y ruisselait était colorée et on avait alors l'impression de plonger directement dans de l'eau turquoise, violette et moults autres coloris encore. Le sol était en marbre chic, si propre qu'on avait peur d'y marcher.

Elle se tourna vers sa soeur. D'après l'expression de son visage (bien que difficile à déchiffrer), elle avait l'air tout aussi ébahie qu'elle. Le plus étonnant était que l'impression qui se dégageait du tout n'était pas "très luxueux", "trop chic", "de mauvais goût" ou quelque chose du genre, non : on s'y sentait bien. Les boutiques aussi étaient bien présentées, et d'après ce qu'elle pouvait voir depuis l'endroit où elle se trouvait, tout y était bien rangé. Loin d'être un endroit B.C.B.G. bourré de fringues de Chales (d'après l'expression très souvent utilisée d'elle et Alexie), il y avait des lieux vraiment sympas, comme des boutiques d'ésotérisme, des échoppes réservées au commerce de bougies en tout genre et d'encens, ou des petits cafés qui avaient l'air fort sympathique aux décors accueillant et divers. Celui qui retint l'attention d'Ambre était très drôle : on avait l'impression de prendre un verre au beau milieu d'une clairière enchantée.

"Wouahou...", réussit-elle seulement à articuler.

Alexie était assez d'accord avec la dernière affirmation de sa soeur. Le centre commercial était positivement superbe. Un endroit où il ferait bon venir siroter un verre et fureter dans les librairies. Elle ne regrettait pas s'être à moitié explosée sur les grillages du pensionnat pour venir jusqu'ici. En signe de contentement, elle enfonça les mains dans les poches de son jean baggy et se mit à siffloter un air guilleret, entamant même une espèce de sautillement de farfadet fou... L'espace d'une seconde bien sûr, elle ne tenait pas à prise pour une dangereuse hystérique.

Ayant dépassé Ambre de quelques mètres dans son mouvement, elle se retourna vers elle, son visage exprimant nettement sa satisfaction.

"Je suis d'accord" répliqua t-elle alors qu'elle sentait sa soeur sur le point de déclarer combien l'endroit lui plaisait... et qu'elle comptait y passer régulièrement.

Suivant le regard de sa jumelle qui s'était posé sur une petite "clairière" très en accord avec son humeur "lutin-frétillant", elle sourit.

"Puis-je t'offrir un verre, frangine?" engagea t-elle en farfouillant dans ses poches à la recherche du billet de dix qu'elle y avait fourré dans le train.

Mettant la main dessus, elle se plissa entre ses doigts presque affectueusement avant de déclarer.

"Papa s'est montré généreux aujourd'hui"

Le ton était à mi-chemin entre l'ironie et l'amertume, mais très loin d'exprimer une réelle émotion. Il s'agissait plus d'une constatation, et il était presque devenu habituel pour Alex de parler de son géniteur avec ce genre d'intonation.

Ambre était heureuse de voir sa soeur aussi enjouée, ça faisait plaisir à voir. Peut-être que finalement la vie ne serait pas si dure ici ? C'est vrai que l'endroit était très plaisant et qu'Ambre s'y sentait réellement... bien. De voir sa soeur en mode guilleret la remplissait de joyeuseté. Ainsi, elle accepta avec plaisir son invitation à boire un café et elles allèrent s'installer autour d'une table (ou plutôt d'un tonneau décoré de lierre aux feuilles vaguement argentées), sur des poufs en velours violet marbré de signes orientaux noirs. L'ambiance était chaleureuse, des fresques représentants quelques elfes, lutins, fées ou autres créatures fantastiques décoraient les murs. Des petites lampes rondes de toutes sortes de couleurs illuminaient l'atmosphère, et les serveurs étaient tous déguisés en farfadets. La barman, elle, derrière son comptoir-souche, possédait une paire de magnifique ailes dans son dos.

"Sympa, l'endroit, j'aime beaucoup !", annonça Ambre. "Concernant "Papa"... Tu sais bien comment il est. Le Colonel d'abord, le chef de famille ensuite. Et le premier ne laisse jamais de temps au second. D'ailleurs j'ignore même si Papa s'occuperait de nous s'il en avait le temps. Enfin, on s'est très bien débrouillées sans lui jusqu'à maintenant non ?"

Elle fit un clin d'oeil rieur à Alexie. Puis elle eut une illumination.

"Je vais appeler Maman !", s'exclama-t-elle. "On a pas eu de ses nouvelles depuis longtemps."

Elle sortit de sa poche un portable high-tech (cadeau de son père) et composa le numéro alors qu'un joyeux lutin vint lui apporter un breuvage un peu fumant portant le doux nom de "Potion des Bois".

Elles s'installèrent, ou du moins s'assirent sur les pouf somme toute assez confortable du petit bar. La serveuse, très dans le son avec ses ailes, vint leur proposer une boisson. Le tout avec tellement de chaleur qu'Alexie commanda, au hasard l'un des breuvages aux noms étranges qui figuraient sur la carte. Ambre prit la même chose, et elles durent répéter car elles avaient parlé en même temps.

Alex échangea un sourire avec sa soeur alors que la serveuse s'éloignait.

"C'est vrai, mais je crois que le fait de nous envoyer ici ne lui aura pas creusé une place plus profonde dans mon coeur" prétendit Alexie en coincant le billet de dix sous son couvert.

A la vérité, elle avait toujours plus affectionné son père qu'elle ne l'avait admit, et son absence la blessait d'autant plus. Elle s'était cependant habituée à ce sentiment, et ne se sentait plus vraiment concernée par l'histoire. Elle haussa les épaules, évinçant le problème avec un sourire.

"Bonne idée, histoire de lui faire ressentir le dépaysement: on a pas des centre commerciaux comme ça, chez nous!"

C'est alors que la sevreuse revint armée de deux tasses fumantes qu'elle déposa devant elle. Tandis qu'Ambre composait le numéro du foyer familial, Alex se pencha avec méfiance sur le contenu de son récipient.

Le tout dégageait une bonne odeur chocolat, mais la couleur presque pourpre du breuvage incitait à al prudence. Tentant le tout pour le tout Alexie décida de se dévouer et d'y tremper les lèvres. Deux secondes plus tard, elle en avalait une longue gorgée.

"Hmm" fit-elle en passant une langue goulue sur ses lèvre afin de n'y laisser aucune goutte de la boisson.